
La crise climatique n’affecte pas toutes les populations de manière égale. Les femmes et les enfants en situation de vulnérabilité supportent souvent un fardeau disproportionné face aux bouleversements environnementaux. Cette inégalité se manifeste dans l’accès aux ressources, la participation aux prises de décision et l’exposition aux risques climatiques. Face à cette réalité, un mouvement global pour la justice climatique émerge, visant à reconnaître et à corriger ces disparités. Ce combat nécessite une approche intersectionnelle qui prend en compte les dimensions genrées et générationnelles dans l’élaboration des politiques environnementales et l’allocation des ressources pour l’adaptation et la résilience climatique.
Les vulnérabilités spécifiques des femmes face au changement climatique
Les femmes, particulièrement dans les pays du Sud global, vivent les conséquences du dérèglement climatique de façon distincte et souvent plus intense que les hommes. Cette vulnérabilité accrue s’explique par plusieurs facteurs structurels profondément ancrés dans les sociétés.
Dans de nombreuses communautés rurales, les femmes assument la responsabilité principale de l’approvisionnement en eau, en nourriture et en combustible pour leurs foyers. Lorsque la sécheresse frappe ou que les ressources naturelles se raréfient en raison du changement climatique, elles doivent parcourir des distances plus longues pour accomplir ces tâches quotidiennes. Au Kenya, par exemple, les femmes marchent désormais jusqu’à 10 kilomètres pour collecter de l’eau durant les périodes de sécheresse prolongée, ce qui réduit considérablement le temps qu’elles peuvent consacrer à l’éducation, aux activités génératrices de revenus ou au repos.
Les catastrophes naturelles intensifiées par le changement climatique ont un impact disproportionné sur la mortalité féminine. Après le cyclone Gorky au Bangladesh en 1991, le taux de mortalité des femmes était presque cinq fois supérieur à celui des hommes. Cette disparité s’explique souvent par des facteurs socioculturels : restrictions vestimentaires limitant la mobilité, manque d’accès à l’information d’alerte précoce, ou responsabilité de protection des enfants et des personnes âgées pendant l’évacuation.
L’insécurité économique exacerbée
Le dérèglement climatique aggrave l’insécurité économique des femmes. Dans l’agriculture de subsistance, secteur où les femmes sont surreprésentées dans de nombreuses régions, les rendements diminuent à cause des perturbations climatiques. En Afrique subsaharienne, où les femmes produisent jusqu’à 80% des denrées alimentaires, les modifications des régimes pluviométriques menacent directement leurs moyens de subsistance.
L’accès inégal aux ressources productives complique leur adaptation. Les femmes possèdent moins de 20% des terres agricoles mondiales, malgré leur rôle prépondérant dans l’agriculture. Cette disparité limite leur capacité à obtenir des crédits, des intrants agricoles ou des formations techniques qui pourraient les aider à adapter leurs pratiques agricoles face au changement climatique.
- Difficulté d’accès au crédit et aux technologies d’adaptation
- Sous-représentation dans les instances décisionnelles environnementales
- Surcharge de travail non rémunéré liée aux impacts climatiques
Les migrations climatiques engendrent des risques spécifiques pour les femmes. Lorsque les communautés sont contraintes de se déplacer en raison de conditions environnementales dégradées, les femmes font face à des vulnerabilités accrues, notamment aux violences sexuelles dans les camps de personnes déplacées ou sur les routes migratoires. Au Soudan et au Tchad, des études ont documenté l’augmentation des violences de genre lors des déplacements liés aux sécheresses.
La justice climatique pour les femmes nécessite donc une reconnaissance explicite de ces vulnérabilités spécifiques et des mesures ciblées pour y répondre. Cela passe par l’intégration systématique d’analyses genrées dans les politiques climatiques et par la promotion d’une participation égale des femmes dans les processus décisionnels environnementaux.
Les enfants face à l’urgence climatique : une génération en péril
Les enfants représentent un groupe particulièrement vulnérable face aux conséquences du changement climatique, avec des impacts qui affectent leur développement présent et hypothèquent leur avenir. Selon l’UNICEF, près d’un milliard d’enfants vivent dans des pays à très haut risque climatique, confrontés à une triple menace : exposition aux aléas climatiques, vulnérabilité élevée et préparation insuffisante.
Sur le plan sanitaire, les enfants subissent des risques disproportionnés. Leur physiologie en développement les rend plus sensibles aux maladies liées au climat comme le paludisme ou la dengue, dont l’aire de répartition s’étend avec le réchauffement. Leur système immunitaire moins mature et leur métabolisme plus rapide les exposent davantage à la pollution atmosphérique, exacerbée par les vagues de chaleur et les incendies. L’Organisation Mondiale de la Santé estime que plus de 80% de la charge de morbidité attribuable au changement climatique touche les enfants de moins de cinq ans.
L’accès à l’éducation est compromis par les événements climatiques extrêmes. Après le cyclone Idai au Mozambique en 2019, plus de 3 300 salles de classe ont été détruites ou endommagées, perturbant l’éducation de centaines de milliers d’enfants. Dans les régions touchées par des sécheresses prolongées, comme la Corne de l’Afrique, les taux d’abandon scolaire augmentent dramatiquement, particulièrement chez les filles, souvent contraintes d’aider à la recherche d’eau ou de nourriture.
Le fardeau psychologique du dérèglement climatique
Un aspect souvent négligé concerne l’impact psychologique du changement climatique sur les enfants. L’écoanxiété touche de nombreux jeunes qui grandissent avec la conscience d’un avenir environnemental incertain. Une étude publiée dans The Lancet en 2021 a révélé que 59% des jeunes de 16 à 25 ans interrogés dans dix pays se disaient extrêmement préoccupés par le changement climatique, avec des répercussions sur leur bien-être quotidien.
Les enfants des communautés autochtones et traditionnelles subissent une double perte : celle de leur environnement physique et celle de leur patrimoine culturel intimement lié à la nature. Pour les enfants inuits de l’Arctique, la fonte des glaces ne signifie pas seulement un changement environnemental mais aussi l’érosion de pratiques culturelles transmises depuis des générations.
- Exposition accrue aux maladies sensibles au climat
- Perturbation de l’éducation lors des catastrophes climatiques
- Charge psychologique et écoanxiété
- Perte de patrimoine culturel lié à l’environnement
Paradoxalement, bien que les enfants soient les moins responsables du changement climatique, ils en supporteront les conséquences les plus durables. Un enfant né en 2020 vivra en moyenne sept fois plus de vagues de chaleur qu’une personne née en 1960, selon une recherche publiée dans Science. Cette injustice intergénérationnelle est au cœur des préoccupations de justice climatique.
La prise en compte des droits et besoins spécifiques des enfants dans les politiques d’atténuation et d’adaptation climatiques constitue donc un impératif moral et pratique. Des approches intégrées associant protection de l’enfance, éducation environnementale et participation des jeunes aux décisions climatiques sont nécessaires pour garantir un avenir viable aux générations actuelles et futures.
Cadres juridiques et droits humains : protéger les plus vulnérables
La protection des femmes et des enfants face au changement climatique s’inscrit dans un cadre juridique international en évolution, qui tente d’articuler droits humains et justice environnementale. Ces instruments juridiques fournissent des leviers pour faire avancer la justice climatique, même si leur mise en œuvre reste souvent insuffisante.
L’Accord de Paris de 2015 constitue une avancée notable en reconnaissant explicitement que les parties devraient, dans leur action climatique, respecter et promouvoir les droits humains, l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes. Cette mention, bien que non contraignante, offre un point d’ancrage pour intégrer les considérations de genre dans les politiques climatiques nationales et internationales.
La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) ne mentionne pas spécifiquement le changement climatique, mais son Comité a publié en 2018 la Recommandation générale n°37 sur les dimensions sexospécifiques de la réduction des risques de catastrophe dans le contexte du changement climatique. Ce document clarifie les obligations des États en matière de protection des droits des femmes face aux impacts climatiques.
Les droits de l’enfant dans le contexte climatique
La Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) offre un cadre juridique solide pour la protection des enfants face au changement climatique. L’article 24 reconnaît le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible, ce qui implique un environnement sain. En 2022, le Comité des droits de l’enfant a entamé l’élaboration d’une observation générale sur les droits de l’enfant et l’environnement, avec une attention particulière au changement climatique.
Des avancées juridiques significatives émergent au niveau national et régional. En 2018, la Cour suprême de Colombie a reconnu l’Amazonie colombienne comme sujet de droits dans une affaire intentée par 25 jeunes demandeurs qui arguaient que la déforestation violait leurs droits constitutionnels à un environnement sain. Cette décision historique a ordonné au gouvernement de prendre des mesures concrètes pour protéger la forêt amazonienne.
L’affaire Sacchi et autres c. Argentine et autres devant le Comité des droits de l’enfant représente une tentative novatrice d’utiliser les mécanismes internationaux des droits humains pour la justice climatique. Seize enfants, dont Greta Thunberg, ont déposé une plainte contre cinq pays pour inaction climatique, alléguant des violations de la CDE. Bien que le Comité ait finalement rejeté l’affaire pour non-épuisement des recours internes, il a reconnu que les États ont des obligations extraterritoriales concernant les émissions de carbone.
- Reconnaissance croissante du droit à un environnement sain
- Développement de la jurisprudence climatique impliquant des enfants plaignants
- Intégration progressive des considérations de genre dans le droit climatique
Les tribunaux nationaux jouent un rôle croissant dans la promotion de la justice climatique. L’affaire Urgenda aux Pays-Bas a établi un précédent majeur en 2019, lorsque la Cour suprême a confirmé que le gouvernement néerlandais avait l’obligation, fondée sur les droits humains, de réduire significativement ses émissions de gaz à effet de serre. Cette décision a inspiré des litiges similaires dans d’autres juridictions, créant une jurisprudence favorable à la protection des groupes vulnérables.
Malgré ces avancées, d’importantes lacunes persistent dans la mise en œuvre effective de ces cadres juridiques. Les femmes et les enfants des communautés marginalisées font face à des obstacles considérables pour accéder à la justice climatique, notamment le manque de ressources, d’information et de représentation juridique. Renforcer les mécanismes d’application et éliminer ces barrières constitue un défi majeur pour transformer les droits théoriques en protections concrètes.
Politiques d’adaptation sensibles au genre et à l’âge
Face aux impacts différenciés du changement climatique, les stratégies d’adaptation doivent intégrer les besoins spécifiques des femmes et des enfants. Cette approche différenciée permet non seulement de réduire leurs vulnérabilités mais aussi de valoriser leur potentiel comme acteurs de changement.
L’intégration systématique d’analyses de genre dans les politiques climatiques constitue une première étape fondamentale. Le Plan d’action genre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) fournit un cadre pour cette intégration, encourageant les pays à collecter des données ventilées par sexe et à réaliser des évaluations d’impact genrées. Des pays comme les Philippines ont fait figure de pionniers en adoptant une loi sur le changement climatique qui mandate explicitement l’intégration du genre dans toutes les politiques climatiques nationales.
Les programmes d’adaptation réussis reconnaissent et renforcent le rôle des femmes comme gestionnaires de ressources naturelles. Au Népal, le programme REDD+ a intégré des quotas de participation féminine dans les comités forestiers communautaires, ce qui a non seulement amélioré la conservation des forêts mais aussi renforcé l’autonomie économique des femmes. La Banque mondiale rapporte que ces forêts gérées par des comités à forte participation féminine ont connu une amélioration de 51% de leur couverture forestière.
Adaptation centrée sur les enfants
L’adaptation climatique sensible aux enfants nécessite des approches multisectorielles. Dans le secteur de l’éducation, des initiatives comme les écoles résilientes au climat développées par l’UNICEF au Zimbabwe combinent infrastructures résistantes aux aléas climatiques, systèmes d’eau et d’assainissement durables, et programmes d’enseignement sur le changement climatique. Ces écoles servent souvent de centres de résilience communautaire en cas de catastrophe.
Les systèmes de protection sociale adaptative constituent un outil puissant pour protéger les femmes et les enfants des chocs climatiques. Le programme PSNP (Programme de filet de sécurité productif) en Éthiopie fournit des transferts monétaires et alimentaires aux ménages vulnérables pendant les périodes de sécheresse, avec des dispositions spécifiques pour les femmes enceintes et allaitantes. Une évaluation a montré que les enfants des familles bénéficiaires présentaient des taux de malnutrition significativement réduits durant les périodes de stress climatique.
La participation significative des femmes et des enfants à la conception et la mise en œuvre des politiques d’adaptation renforce leur efficacité. Dans la région de Karamoja en Ouganda, un programme de l’ONG CARE a formé des groupes de femmes à l’agriculture résiliente au climat. Ces femmes ont ensuite adapté les techniques proposées aux conditions locales, améliorant considérablement les rendements malgré la variabilité pluviométrique accrue.
- Intégration d’analyses genrées dans la planification de l’adaptation
- Services de santé résilients au climat pour les femmes et enfants
- Programmes d’éducation environnementale adaptés aux enfants
- Mécanismes de protection sociale sensibles aux chocs climatiques
Les savoirs traditionnels détenus par les femmes constituent une ressource précieuse pour l’adaptation. En Inde, le projet Mahila Housing SEWA Trust a documenté et valorisé les connaissances des femmes sur les techniques traditionnelles de refroidissement des habitations, les combinant avec des technologies modernes pour créer des logements adaptés aux vagues de chaleur intensifiées par le changement climatique.
Pour les enfants, l’adaptation doit inclure le renforcement de leur résilience psychosociale face aux stress climatiques. Des programmes comme Our Kids’ Climate développent des ressources adaptées à l’âge pour aider les enfants à comprendre le changement climatique sans développer d’écoanxiété paralysante, et à s’engager dans des actions positives à leur échelle.
Vers une justice climatique transformatrice
La justice climatique pour les femmes et les enfants vulnérables ne peut se limiter à des mesures palliatives. Elle appelle une transformation profonde des systèmes économiques, politiques et sociaux qui perpétuent les inégalités face au changement climatique. Cette vision transformatrice reconnaît les liens indissociables entre justice environnementale, justice sociale et justice de genre.
Le concept de transition juste doit être élargi pour intégrer explicitement les dimensions de genre et d’âge. Alors que les économies se décarbonent, il faut veiller à ce que les femmes bénéficient équitablement des opportunités créées dans les secteurs verts. Au Maroc, le complexe solaire Noor Ouarzazate a mis en place des programmes spécifiques pour former et employer des femmes locales, remettant en question les normes de genre traditionnelles dans le secteur énergétique.
La démocratisation des processus décisionnels climatiques constitue un levier fondamental pour la justice climatique. Les mouvements de jeunes pour le climat, comme Fridays for Future, ont transformé le paysage politique en exigeant une place à la table des négociations. Lors de la COP26 à Glasgow, la présence de jeunes négociateurs comme Brianna Fruean des Samoa a permis d’intégrer des perspectives générationnelles cruciales dans les discussions.
Financement climatique équitable
Le financement climatique doit être réorienté pour atteindre directement les femmes et les enfants en première ligne de la crise. Actuellement, moins de 0,01% du financement climatique mondial atteint les organisations de femmes de base, selon WEDO (Women’s Environment and Development Organization). Des mécanismes comme le Fonds d’adaptation ont commencé à développer des politiques de genre, mais leur mise en œuvre reste inégale.
Des approches novatrices de financement émergent. Le Fonds pour les femmes d’Afrique a créé un portefeuille spécifique pour soutenir les initiatives climatiques dirigées par des femmes à l’échelle communautaire. Ces financements directs permettent aux femmes de développer des solutions adaptées à leurs contextes locaux, comme des coopératives d’énergie renouvelable ou des banques de semences résilientes au climat.
Pour les enfants, l’investissement dans des infrastructures résilientes au climat est primordial. L’initiative Child-Friendly Cities de l’UNICEF intègre désormais des considérations climatiques dans son cadre, promouvant des espaces urbains qui protègent les enfants des impacts climatiques tout en réduisant les émissions de carbone. À Barcelone, le programme Superblocks transforme des îlots urbains en espaces verts accessibles aux enfants, réduisant simultanément la pollution atmosphérique et les îlots de chaleur urbains.
- Réforme des subventions aux énergies fossiles au profit d’investissements dans les services sociaux
- Mécanismes de financement direct pour les organisations de femmes et de jeunes
- Reconnaissance juridique des droits des générations futures
La justice climatique intergénérationnelle gagne du terrain dans les sphères juridiques et politiques. En Nouvelle-Zélande, le Zero Carbon Act de 2019 a créé une Commission sur le changement climatique qui doit explicitement considérer les impacts de ses recommandations sur les générations futures. Cette institutionnalisation de la perspective intergénérationnelle représente une avancée significative pour les droits des enfants d’aujourd’hui et de demain.
Les savoirs autochtones, souvent préservés et transmis par les femmes, offrent des perspectives précieuses pour une relation plus harmonieuse avec la nature. Le mouvement Buen Vivir en Amérique latine, qui prône une vision du bien-être fondée sur l’harmonie avec la communauté et l’environnement plutôt que sur la croissance économique, inspire des alternatives au modèle de développement extractif qui alimente la crise climatique.
La justice climatique transformatrice reconnaît que les femmes et les enfants ne sont pas seulement des victimes du changement climatique mais des agents de changement essentiels. Leur leadership, leurs connaissances et leurs perspectives sont indispensables pour construire un avenir climatique juste et durable. Cette reconnaissance doit se traduire par un soutien concret à leurs initiatives et par leur inclusion significative dans tous les espaces de gouvernance climatique.