
La gouvernance climatique mondiale représente l’un des défis juridiques les plus complexes du XXIe siècle. Face à l’augmentation des températures globales et à la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, la communauté internationale a progressivement élaboré un cadre normatif visant à coordonner les efforts de lutte contre les changements climatiques. Ce corpus juridique, en constante évolution, s’articule autour de principes fondamentaux, d’institutions spécialisées et d’instruments contraignants ou incitatifs. Il reflète les tensions entre souveraineté nationale et nécessité d’une action collective, entre responsabilités historiques et capacités différenciées des États, entre impératifs économiques et exigences environnementales. L’analyse de ce régime juridique permet de comprendre les avancées réalisées, mais aussi les insuffisances persistantes face à l’urgence climatique.
Genèse et principes fondateurs du droit international climatique
Le droit international de la gouvernance climatique trouve ses racines dans les années 1970, période marquée par une prise de conscience progressive des enjeux environnementaux globaux. La Conférence de Stockholm de 1972 constitue un premier jalon, établissant les bases d’une coopération internationale en matière environnementale. Toutefois, c’est véritablement avec la Conférence de Rio en 1992 que la question climatique s’impose comme une préoccupation majeure du droit international.
Cette conférence aboutit à l’adoption de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), texte fondateur qui pose les principes directeurs de la gouvernance climatique internationale. Parmi ces principes, celui des « responsabilités communes mais différenciées » occupe une place centrale. Il reconnaît que tous les États partagent la responsabilité de lutter contre le changement climatique, tout en tenant compte de leurs capacités respectives et de leur contribution historique aux émissions de gaz à effet de serre.
Le principe de précaution constitue un autre pilier de ce régime juridique. Face aux incertitudes scientifiques, il préconise l’adoption de mesures préventives, sans attendre une certitude absolue quant aux risques encourus. Ce principe justifie une action anticipative face à la menace climatique, même en l’absence de preuves définitives sur certains aspects du phénomène.
Le droit international climatique s’appuie sur le principe du développement durable, qui vise à concilier développement économique, protection environnementale et équité sociale. Cette approche intégrée reconnaît l’interdépendance entre lutte contre la pauvreté et protection du climat, cherchant à éviter que les politiques climatiques n’entravent le développement des pays les plus vulnérables.
Les fondements juridiques spécifiques
Au-delà des principes généraux, le régime climatique international repose sur des mécanismes juridiques spécifiques. Le concept d’équité intergénérationnelle implique de préserver les ressources climatiques pour les générations futures, justifiant des mesures ambitieuses malgré leurs coûts immédiats. Le principe pollueur-payeur, quant à lui, attribue la responsabilité financière des dommages climatiques à ceux qui en sont à l’origine.
La gouvernance multi-niveaux constitue une caractéristique distinctive de ce régime. Elle associe instances internationales, organisations régionales, États et acteurs non-étatiques dans un système complexe d’interactions normatives. Cette architecture reflète la nature transversale du défi climatique, qui transcende les frontières traditionnelles entre États et entre disciplines juridiques.
- Principe des responsabilités communes mais différenciées
- Principe de précaution face à l’incertitude scientifique
- Équité intergénérationnelle et protection des générations futures
- Gouvernance multi-niveaux impliquant acteurs étatiques et non-étatiques
Ces fondements normatifs ont permis l’émergence progressive d’un corpus juridique spécifique, mais leur mise en œuvre reste confrontée à des défis considérables, notamment en raison des tensions persistantes entre pays développés et pays en développement concernant la répartition des efforts climatiques.
L’architecture institutionnelle de la gouvernance climatique
La gouvernance climatique mondiale s’appuie sur un réseau institutionnel dense et diversifié, dont la CCNUCC constitue la pierre angulaire. Cette convention établit un cadre permanent de négociation à travers la Conférence des Parties (COP), qui réunit annuellement l’ensemble des États signataires pour faire avancer le régime climatique international. La COP représente l’organe décisionnel suprême où sont adoptés les principaux instruments juridiques relatifs au climat.
Pour assister la COP dans ses travaux, plusieurs organes subsidiaires ont été créés. L’Organe Subsidiaire de Conseil Scientifique et Technologique (SBSTA) fournit des avis scientifiques et techniques, établissant un pont entre la recherche climatique et les décisions politiques. L’Organe Subsidiaire de Mise en Œuvre (SBI) supervise l’application des engagements pris par les États, jouant un rôle crucial dans le suivi et l’évaluation des politiques nationales.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), bien que formellement indépendant de la CCNUCC, constitue un pilier majeur de cette architecture institutionnelle. Créé en 1988, il rassemble des milliers de scientifiques chargés d’évaluer l’état des connaissances sur le changement climatique. Ses rapports d’évaluation, publiés périodiquement, fournissent la base scientifique des négociations climatiques et influencent considérablement l’évolution du droit international dans ce domaine.
Mécanismes financiers et organes spécialisés
Le financement des actions climatiques constitue un enjeu majeur, donnant lieu à la création d’institutions spécifiques. Le Fonds Vert pour le Climat, établi en 2010, représente le principal mécanisme financier dédié à soutenir les pays en développement dans leurs efforts d’atténuation et d’adaptation. Doté théoriquement de 100 milliards de dollars annuels à partir de 2020, ce fonds illustre l’importance croissante des questions financières dans la gouvernance climatique.
D’autres mécanismes financiers complètent ce dispositif, comme le Fonds pour l’Adaptation, qui finance spécifiquement des projets d’adaptation dans les pays vulnérables, ou le Fonds pour l’Environnement Mondial, qui soutient des initiatives environnementales plus larges incluant des composantes climatiques.
L’architecture institutionnelle comprend des organes spécialisés traitant d’aspects particuliers de la gouvernance climatique. Le Comité de l’Adaptation promeut la mise en œuvre cohérente des mesures d’adaptation au niveau international. Le Comité Exécutif du Mécanisme International de Varsovie traite spécifiquement des pertes et préjudices liés aux impacts climatiques auxquels il est impossible de s’adapter.
- Conférence des Parties (COP) comme forum décisionnel principal
- Organes subsidiaires techniques et de mise en œuvre
- Mécanismes financiers dédiés aux actions climatiques
- Comités spécialisés sur l’adaptation et les pertes et préjudices
Cette complexité institutionnelle reflète la multidimensionnalité du défi climatique, mais soulève des questions de coordination et d’efficacité. La multiplication des organes et mécanismes peut en effet conduire à une fragmentation de la gouvernance, limitant la cohérence globale des actions entreprises.
Des engagements volontaires aux obligations contraignantes : l’évolution des instruments juridiques
Le régime juridique international du climat a connu une évolution significative dans la nature des obligations imposées aux États. Le Protocole de Kyoto, adopté en 1997, marque la première tentative d’établir des engagements contraignants de réduction des émissions pour les pays développés. Avec ses objectifs chiffrés et son système de conformité, il représente une approche « top-down » de la gouvernance climatique, imposant des obligations précises aux États parties.
Toutefois, face aux limites de cette approche et à l’absence d’engagements pour certains grands émetteurs comme les États-Unis (qui n’ont jamais ratifié le Protocole) ou la Chine (qui n’avait pas d’obligations de réduction en tant que pays en développement), un changement paradigmatique s’est opéré. L’Accord de Paris de 2015 privilégie une approche « bottom-up » fondée sur des contributions déterminées au niveau national (CDN), où chaque État définit volontairement ses objectifs climatiques.
Cette évolution traduit un pragmatisme accru mais soulève des questions sur l’efficacité du régime. Si l’Accord de Paris a permis une participation quasi-universelle avec 196 parties signataires, l’ambition collective des engagements nationaux reste insuffisante pour atteindre l’objectif de limiter le réchauffement bien en-deçà de 2°C, idéalement à 1,5°C.
Mécanismes de flexibilité et instruments économiques
Pour faciliter la réalisation des objectifs climatiques, divers mécanismes de flexibilité ont été développés. Le Protocole de Kyoto a introduit trois mécanismes principaux : le Mécanisme de Développement Propre (MDP) permettant aux pays développés d’investir dans des projets de réduction d’émissions dans les pays en développement ; la Mise en Œuvre Conjointe (MOC) pour des projets entre pays développés ; et le système d’échange de quotas d’émission, autorisant le commerce de droits d’émission.
L’Accord de Paris poursuit cette logique avec son article 6, qui prévoit des approches coopératives permettant aux États de transférer des résultats d’atténuation entre eux. Ces mécanismes visent à réduire le coût global de l’action climatique en concentrant les efforts là où ils sont économiquement les plus efficaces, tout en facilitant les transferts de technologies et de financements vers les pays en développement.
Au-delà de ces mécanismes formels, le droit international climatique a stimulé l’émergence d’instruments économiques variés, comme les marchés carbone régionaux ou nationaux, les taxes carbone, ou les systèmes de certification d’émissions. Ces outils reflètent une tendance à l’économisation du droit climatique, cherchant à intégrer le coût environnemental des émissions dans les décisions économiques.
- Évolution d’un modèle contraignant (Kyoto) vers des engagements volontaires (Paris)
- Mécanismes de flexibilité permettant des réductions d’émissions à moindre coût
- Développement d’instruments économiques (marchés carbone, taxes)
- Système de transparence renforcée pour le suivi des engagements
Cette diversification des instruments juridiques témoigne d’une recherche d’efficacité et de pragmatisme, mais pose la question de leur articulation cohérente. La multiplication des mécanismes peut en effet générer des chevauchements ou des incohérences, complexifiant la mise en œuvre effective des politiques climatiques.
L’adaptation juridique aux défis émergents du changement climatique
Si les efforts initiaux du droit climatique se sont concentrés sur l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, l’adaptation aux impacts inévitables du changement climatique a progressivement gagné en importance. L’Accord de Paris marque un tournant en établissant un objectif mondial d’adaptation et en reconnaissant sa dimension cruciale, particulièrement pour les pays les plus vulnérables.
Cette évolution se traduit par l’émergence de cadres juridiques spécifiques à l’adaptation. Le Cadre de l’Adaptation de Cancún, adopté en 2010, encourage les pays à élaborer des plans nationaux d’adaptation (PNA) et établit des mécanismes institutionnels dédiés. L’adaptation devient ainsi un pilier distinct du régime climatique, nécessitant des approches juridiques innovantes qui dépassent la simple réduction des émissions.
Parallèlement, la question des pertes et préjudices liés aux impacts climatiques irréversibles s’impose dans les négociations. Le Mécanisme international de Varsovie, établi en 2013, reconnaît que certains dommages climatiques dépassent les capacités d’adaptation des pays. Ce mécanisme ouvre la voie à des discussions complexes sur la responsabilité juridique et la compensation des dommages climatiques, soulevant des questions fondamentales de justice environnementale.
Droits humains et justice climatique
L’intégration des droits humains dans le régime climatique représente une évolution majeure. L’Accord de Paris reconnaît explicitement que les parties devraient respecter et promouvoir leurs obligations en matière de droits humains lorsqu’elles prennent des mesures face au changement climatique. Cette approche fondée sur les droits transforme progressivement la conception juridique du problème climatique, désormais envisagé non seulement comme un défi environnemental mais comme une question de dignité humaine et d’équité.
Cette perspective se manifeste par la multiplication des contentieux climatiques invoquant les droits fondamentaux. Des affaires emblématiques comme Urgenda aux Pays-Bas ou Leghari au Pakistan illustrent comment les tribunaux nationaux mobilisent les droits à la vie, à la santé ou à un environnement sain pour contraindre les gouvernements à renforcer leur action climatique. Au niveau international, des pétitions devant des organes comme le Comité des droits de l’enfant ou la Commission interaméricaine des droits de l’homme témoignent de cette judiciarisation croissante.
La justice climatique devient un principe structurant du régime juridique international. Elle implique une répartition équitable des charges et des bénéfices de l’action climatique, tenant compte des responsabilités historiques, des capacités différenciées et des besoins spécifiques des populations vulnérables. Cette approche influence l’interprétation et l’application des instruments existants, tout en orientant l’élaboration des futures normes climatiques.
- Reconnaissance juridique croissante de l’adaptation comme pilier du régime climatique
- Émergence du concept de pertes et préjudices pour les impacts irréversibles
- Intégration progressive des droits humains dans la gouvernance climatique
- Développement des contentieux climatiques nationaux et internationaux
Ces évolutions témoignent d’un élargissement considérable du champ du droit climatique, initialement centré sur les questions technico-économiques de réduction des émissions. Elles reflètent une compréhension plus holistique des dimensions sociales, éthiques et juridiques du défi climatique, tout en soulevant des questions complexes sur l’articulation entre différentes branches du droit international.
Vers un nouveau paradigme juridique pour l’action climatique mondiale
Face à l’écart persistant entre les engagements actuels et les exigences scientifiques pour éviter un réchauffement dangereux, le droit international du climat se trouve à un carrefour décisif. La trajectoire actuelle des émissions mondiales nous conduit vers un réchauffement de 2,7°C à 3,1°C d’ici la fin du siècle, bien au-delà de l’objectif de 1,5°C fixé par l’Accord de Paris. Cette situation appelle à repenser fondamentalement les approches juridiques traditionnelles.
Une transformation majeure concerne la fragmentation productive du régime climatique. Au-delà du cadre formel de la CCNUCC, on observe une multiplication d’initiatives sectorielles ciblant des domaines spécifiques comme l’aviation (CORSIA), le transport maritime (stratégie de l’OMI), ou les polluants climatiques à courte durée de vie (Coalition pour le climat et l’air pur). Cette approche sectorielle permet des avancées ciblées, complétant le cadre général des négociations climatiques.
Parallèlement, on assiste à une transnationalisation de la gouvernance climatique, avec l’implication croissante d’acteurs non-étatiques. Les villes, régions, entreprises et organisations de la société civile développent leurs propres engagements et réseaux d’action, comme en témoignent des initiatives telles que la Convention des Maires ou la coalition We Mean Business. Le droit international du climat évolue pour reconnaître et encadrer ces contributions non-étatiques, notamment à travers le Partenariat de Marrakech pour l’Action Climatique Mondiale.
Innovations juridiques et perspectives d’avenir
L’urgence climatique stimule l’émergence d’innovations juridiques majeures. Le concept d’obligations erga omnes en matière climatique gagne du terrain, suggérant que la protection du système climatique constitue une obligation envers la communauté internationale dans son ensemble. Cette approche pourrait renforcer la justiciabilité des engagements climatiques au-delà des mécanismes conventionnels existants.
La reconnaissance progressive de principes comme la non-régression et la progression dans l’action climatique introduit une dynamique d’amélioration continue des engagements. Ces principes, consacrés implicitement par l’Accord de Paris, visent à garantir que les politiques climatiques ne peuvent qu’être renforcées au fil du temps, jamais affaiblies.
Des propositions plus ambitieuses émergent pour combler les lacunes du régime actuel. L’idée d’un traité de non-prolifération des combustibles fossiles, inspiré du modèle du désarmement nucléaire, gagne en visibilité. De même, les discussions sur un crime d’écocide au niveau international pourraient transformer l’approche juridique des dommages environnementaux massifs, y compris ceux liés au dérèglement climatique.
- Approches sectorielles complémentaires au cadre général de la CCNUCC
- Reconnaissance juridique croissante des actions non-étatiques
- Émergence des principes de non-régression et de progression continue
- Propositions de nouveaux instruments juridiques contraignants (traité de non-prolifération des fossiles, écocide)
Ces évolutions dessinent progressivement un nouveau paradigme juridique, plus inclusif et plus ambitieux. La gouvernance climatique s’oriente vers un modèle polycentrique, où coexistent et se renforcent mutuellement des normes formelles et informelles, des acteurs étatiques et non-étatiques, des approches globales et sectorielles. Ce pluralisme juridique, s’il comporte des risques de fragmentation, offre surtout des opportunités d’innovation et d’adaptation face à la complexité du défi climatique.
Les défis persistants de l’effectivité du droit climatique international
Malgré les avancées significatives du cadre juridique international, son effectivité reste limitée face à l’ampleur du défi climatique. Le respect des engagements constitue un obstacle majeur, en l’absence de mécanismes de sanction véritablement contraignants. Si l’Accord de Paris a institué un cadre de transparence renforcée, il privilégie une approche facilitatrice plutôt que punitive, reposant sur l’examen par les pairs et la pression diplomatique.
Cette situation soulève la question fondamentale de la justiciabilité des engagements climatiques. Les contentieux climatiques se multiplient au niveau national, mais les recours internationaux restent limités. Des initiatives comme la demande d’avis consultatif auprès de la Cour internationale de Justice sur les obligations des États en matière climatique, portée par Vanuatu, témoignent d’une recherche de clarification des obligations juridiques internationales.
Le financement climatique demeure un point d’achoppement majeur. L’objectif de mobiliser 100 milliards de dollars annuels pour les pays en développement n’a pas été pleinement atteint, et les négociations sur un nouvel objectif financier post-2025 s’annoncent complexes. Cette situation reflète les tensions persistantes entre pays développés et en développement concernant la responsabilité historique et la répartition des efforts.
Articulation avec d’autres régimes juridiques
L’effectivité du droit climatique dépend largement de son articulation avec d’autres régimes juridiques internationaux. Les interactions avec le droit du commerce international sont particulièrement sensibles, comme l’illustrent les débats sur les ajustements carbone aux frontières. Ces mécanismes, visant à préserver la compétitivité des industries soumises à des contraintes climatiques, soulèvent des questions de compatibilité avec les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce.
De même, les relations entre droit climatique et protection des investissements génèrent des tensions. Les clauses d’arbitrage investisseur-État dans les traités d’investissement peuvent être mobilisées contre des politiques climatiques ambitieuses, comme l’ont montré des affaires emblématiques concernant la sortie du charbon ou des hydrocarbures. Cette situation appelle à une réforme des régimes d’investissement pour les aligner avec les objectifs climatiques.
La cohérence avec d’autres objectifs environnementaux constitue un défi supplémentaire. Si les synergies entre lutte climatique et protection de la biodiversité sont nombreuses, des tensions peuvent émerger, notamment concernant certaines solutions technologiques comme les biocarburants ou les grands barrages hydroélectriques. L’articulation entre le régime climatique et les Objectifs de Développement Durable nécessite une approche intégrée encore insuffisamment développée.
- Faiblesse des mécanismes de contrôle et de sanction
- Insuffisance persistante du financement climatique international
- Tensions avec le droit commercial et le droit des investissements
- Nécessité d’une approche intégrée des objectifs environnementaux
Ces défis d’effectivité reflètent les limites intrinsèques d’un système juridique international fondé sur le consentement des États et dépourvu de mécanismes coercitifs puissants. Ils soulignent la nécessité de renforcer non seulement les instruments juridiques formels, mais aussi les dynamiques politiques, économiques et sociales qui conditionnent leur mise en œuvre effective.
Perspectives d’évolution : vers un droit climatique transformateur
L’avenir du droit international de la gouvernance climatique se dessine à travers plusieurs tendances transformatrices. La première concerne l’intégration systématique du risque climatique dans l’ensemble des politiques publiques et des décisions économiques. Cette approche, connue sous le nom de mainstreaming climatique, dépasse la vision sectorielle traditionnelle pour faire du climat une considération transversale dans tous les domaines de gouvernance.
Une seconde évolution majeure porte sur la territorialisation des normes climatiques internationales. Les engagements globaux se déclinent progressivement en obligations juridiques nationales et locales, créant une cascade normative qui renforce l’effectivité du droit climatique. Des pays comme le Royaume-Uni, la France ou le Mexique ont ainsi adopté des législations-cadres contraignantes fixant des objectifs de neutralité carbone et établissant des mécanismes de planification et de suivi.
Parallèlement, on observe une judiciarisation croissante des questions climatiques. Les tribunaux jouent un rôle de plus en plus actif dans l’interprétation et l’application des obligations climatiques, comblant parfois les lacunes laissées par les législateurs. Des décisions historiques comme celle de la Cour constitutionnelle allemande en 2021, reconnaissant un droit à un budget carbone équitablement réparti entre générations, illustrent ce phénomène. Cette tendance pourrait s’amplifier avec la multiplication des recours devant des juridictions internationales et régionales.
Innovations conceptuelles et normatives
Le droit climatique connaît une profonde rénovation conceptuelle. La notion de justice climatique intergénérationnelle gagne en substance juridique, notamment à travers la reconnaissance des droits des générations futures dans certaines constitutions et décisions judiciaires. Ce concept transforme l’approche temporelle du droit, traditionnellement focalisé sur le présent, pour intégrer une responsabilité à long terme.
L’émergence du concept de neutralité carbone comme norme juridique constitue une autre innovation majeure. Au-delà d’un simple objectif politique, la neutralité carbone devient progressivement une obligation juridique pour les États et certaines entreprises, avec des implications concrètes en termes de planification, d’investissement et de responsabilité légale.
Les discussions sur un possible droit humain à un climat stable représentent une frontière prometteuse. Plusieurs juridictions commencent à reconnaître ce droit, explicitement ou implicitement, comme une extension du droit à un environnement sain. Cette approche pourrait considérablement renforcer la justiciabilité des obligations climatiques et placer les droits fondamentaux au cœur du régime juridique international.
- Mainstreaming climatique dans l’ensemble des politiques publiques
- Territorialisation des normes climatiques internationales
- Judiciarisation croissante et rôle actif des tribunaux
- Émergence de nouveaux droits et obligations liés au climat
Ces évolutions témoignent d’une maturation du droit climatique, qui transcende progressivement les limites du droit international environnemental classique pour devenir un paradigme juridique transformateur. Ce nouveau paradigme se caractérise par une approche systémique, reconnaissant les interconnexions entre climat, biodiversité, droits humains et développement, et visant une transformation profonde des systèmes économiques et sociaux.
Le futur de la gouvernance climatique : entre fragmentation et intégration
L’avenir du droit international de la gouvernance climatique se joue dans la tension dialectique entre fragmentation et intégration. D’un côté, la multiplication des initiatives, forums et instruments juridiques crée un paysage normatif complexe et potentiellement incohérent. De l’autre, émerge une recherche de cohérence et de synergie entre ces différentes composantes du régime climatique global.
La fragmentation se manifeste à plusieurs niveaux. Au plan institutionnel, on observe une prolifération d’organisations et de forums traitant des questions climatiques, du G20 au Forum des économies majeures sur l’énergie et le climat, en passant par diverses initiatives sectorielles. Cette multiplication reflète la transversalité du défi climatique mais comporte des risques de duplication, de concurrence normative et d’affaiblissement du cadre multilatéral central de la CCNUCC.
Au niveau normatif, la diversification des instruments juridiques – traités contraignants, soft law, standards privés, codes de conduite volontaires – crée un régime complexe aux frontières floues. Cette complexité peut générer des incertitudes juridiques mais offre aussi une flexibilité permettant d’adapter les approches aux différents contextes et acteurs.
Vers une intégration systémique
Face à cette fragmentation, plusieurs dynamiques d’intégration se dessinent. L’Accord de Paris, avec son approche hybride combinant engagements nationaux et cadre international, constitue une tentative d’accommoder la diversité tout en maintenant une cohérence globale. Son mécanisme de révision quinquennale des contributions nationales établit un cycle d’ambition partagé qui structure l’action collective.
Le développement d’une science de l’intégration des politiques climatiques représente une autre tendance majeure. Des outils comme l’évaluation des impacts climatiques des politiques publiques ou l’évaluation environnementale stratégique contribuent à systématiser la prise en compte du climat dans l’ensemble des décisions, favorisant une cohérence accrue.
L’émergence de principes transversaux joue un rôle unificateur. Des concepts comme la transition juste, qui vise à concilier ambition climatique et justice sociale, ou l’approche fondée sur les droits, qui place les droits humains au cœur de l’action climatique, fournissent des cadres intégrateurs pour les différentes composantes du régime.
- Tension entre multiplication des forums et besoin de coordination
- Diversification des instruments juridiques (hard law, soft law, standards privés)
- Développement d’outils d’intégration systématique du climat dans les politiques
- Émergence de principes transversaux unificateurs
Cette dialectique entre fragmentation et intégration dessine un régime climatique polycentrique, où coexistent et interagissent multiples centres de gouvernance. Ce modèle, s’il comporte des défis de coordination, présente l’avantage de la résilience et de l’adaptabilité face à un problème aussi complexe et évolutif que le changement climatique.
Le futur du droit international climatique réside probablement dans sa capacité à maintenir un équilibre dynamique entre unité et diversité, entre cadre commun et approches différenciées, entre principes universels et mise en œuvre contextualisée. C’est dans cette tension créatrice que pourrait émerger un régime juridique à la hauteur de l’immense défi que représente la transformation de nos sociétés vers la neutralité carbone et la résilience climatique.